J.-P. Bastian: La fracture religieuse vaudoise 1847-1960

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Titel
La fracture religieuse vaudoise 1847-1960. L’Église libre, «la Môme» et le canton de Vaud, Genève


Autor(en)
Bastian, Jean-Pierre
Erschienen
Genève 2016: Labor et fides
Anzahl Seiten
399 S.
von
Bernard Reymond

En 1966, l’Église évangélique réformée du canton de Vaud a retrouvé son unité au gré d’une «fusion» qui a mis fin à une «fracture» consécutive à la révolution radicale de 1845. La Fondation des Terreaux qui gère l’ancien patrimoine libriste lausannois des chapelles de Marterey et des Terreaux a eu l’heureuse idée de confier au sociologue et historien vaudois Jean-Pierre Bastian, professeur émérite de sociologie des religions à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg, le mandat d’explorer à frais nouveaux cette page de l’histoire vaudoise. On prévoyait un ouvrage de petites dimensions, mais Bastian s’est pris au jeu, avec pour résultat une étude qui, par son ampleur et la qualité de son information, vient prendre place parmi celles dont on ne pourra plus se passer. Comme Bastian le signale à juste titre, aucune étude d’ensemble n’existait encore sur l’histoire ecclésiastique vaudoise au XIXe siècle. Aussi son travail vient-il combler un vide bien qu’il ne porte que sur l’histoire de l’Église libre et que celle de l’Église nationale reste à écrire – une entreprise de longue haleine dont on se demande qui aura non seulement le courage, mais aussi les moyens de s’y adonner.

Point de départ, évidemment : la situation et le statut de l’Église réformée vaudoise sous le régime bernois, c’est-à-dire essentiellement celle de son corps pastoral qui dépendait étroitement de LL. EE. Comme de nombreux auteurs l’ont fait avant lui, Bastian en parle comme d’une Église assujettie au pouvoir séculier en vertu du principe cujus regio ejus religio; il me semble que, sur ce point, il aurait pu faire percevoir plus nettement que Messieurs de Berne ne considéraient pas véritablement les pasteurs comme des représentants de l’Église, ce qui eût été à leurs yeux une nouvelle forme de cléricalisme, mais comme des fonctionnaires – des «ministres» – au service de l’Église que constituaient les gens, les laïcs, et que représentaient institutionnellement les titulaires du pouvoir civil. À mon sens, il y a eu sur ce point un malentendu institutionnel constant de 1798 à 1845 du fait que, en l’absence d’instances synodales, les pasteurs passaient pour les représentants autorisés de l’Église alors qu’ils ne l’étaient pas à proprement parler – un malentendu auquel Vinet lui-même me semble n’avoir pas été assez attentif. Mais ce n’est pas ici le lieu d’en débattre.

Bastian montre avec force, au gré d’une enquête qui ne rechigne devant aucun détail, combien la formation de l’Église libre en entité désormais séparée de l’Église nationale était dans la logique de la situation. Ce fut affaire de convictions théologiques ou religieuses de la part de laïcs et de pasteurs touchés par le Réveil ou sensibilisés à la situation institutionnelle du protestantisme français, mais aussi d’opposition politique de familles libérales (au sens de 1830) au radicalisme de 1845, et de milieu social dans la mesure où les plus fermes soutiens de lacause libriste émargeaient pour beaucoup aux milieux aisés de la bourgeoisie, dont quasiment tous les châtelains vaudois. Du fait de la formation de paroisses et surtout de l’ouverture d’une Faculté de théologie – «la Môme» – indépendante et rivale de celle de l’Académie, l’option libriste a très rapi dement pris une dimension institutionnelle devenue avec le temps si irréversible que, au bout d’une centaine d’années , le principe de l’indépendance envers l’État était devenu pour certains un point de doctrine si impérieux qu’ils n’acceptaient pas de remettre en question. Bastian ne manque pas de montrer combien, sur ce point en particulier, les penseurs de l’Église libre n’ont cessé de se réclamer de Vinet. Mais cet aboutissement était-il bien dans la pensée de ce dernier? La question mérite d’être posée, même si ce grand penseur eût été le seul à même d’y répondre. Bastian a mille fois raison d’accorder une très large place à la Faculté du chemin des Cèdres. Comme il le rappelle, il y allait de la crédibilité de l’Église libre en formation. Peut-être eût-il pu insister davantage sur le fait que, dans la perspective de l’époque, la Faculté héritée de LL. EE. n’était pas seulement une institution académique, mais aussi un organe déterminant dans la gestion des affaires ecclésiastiques: il ne lui appartenait pas seulement de former les futurs pasteurs, mais aussi de les consacrer et de les assermenter. Dès lors, la Faculté de l’Académie ne pouvait être, aux yeux des libristes, qu’une incarnation de plus de l’assujettissement de l’Église à l’État. Dans cette perspective, la nouvelle Église ne pouvait en être véritablement une que si elle se dotait à son tour d’une Faculté venant prendre le relais de celle de l’Académie. Bastian examine en détail la formation de cette Faculté, la composition de son corps enseignant, le recrutement de ses étudiants, son financement. On admire l’ampleur de son information, même s’il a souvent dû se contenter de restreindre à quelques indications l’apport de chacun des différents professeurs dont il retrace le parcours. Pour ce faire, il semble avoir dû s’en remettre plus d’une fois à des informations orales, d’où par exemple une imprécision: Arnold Reymond avait exercé pendant deux ans des fonctions pastorales, mais n’a jamais été consacré à ce ministère; lui et René Guisan s’étaient justement distingués par leur refus public de souscrire à la profession de foi de l’Église libre.

Dans la foulée de ses pages sur la Faculté libriste, Bastian passe également en revue les diverses institutions collège Galliard, école Vinet, etc. nées de ce qu’il appelle justement une «pédagogie de la conviction», sans oublier les oeuvres philanthropiques ou sociales auxquelles elle a donné lieu. L’apport de l’Église libre à la vie collective du Canton est à cet égard des plus convaincants, mais avec une incidence à laquelle Bastian ne fait aucune allusion, peut-être parce qu’elle est difficile à documenter: l’effort financier considérable que les milieux aisés de l’Église libre ont dû consentir pour assurer le revenu des pasteurs, la construction et l’entretien des chapelles, et surtout la vie et l’épanouissement de la Faculté des Cèdres les ont longtemps dissuadés de faire bénéficier de leur mécénat les institutions publiques (musées, bibliothèques, etc.) de l’État radical.

La dernière partie du livre est intitulée «De la fracture religieuse à la fusion des contraires». Bastian ne manque évidemment pas de signaler combien libristes et nationaux en sont souvent venus à collaborer, surtout depuis la mise en place d’institutions synodales du côté national en 1863: lancement de la Revue de théologie et de philosophie, coédition des oeuvres de Vinet, collaboration au sein de la Société vaudoise de théologie, échanges temporaires de professeurs, voire partage de certains enseignants entre les deux Facultés (Guisan, Burnier, Widmer – qui était Vaudois et non Genevois p. 325), mais sur le plan des principes ecclésiologiques, c’était bel et bien une situation de contradiction. Pour les étapes qui ont conduit à la fusion de 1966, Bastian s’en remet en particulier à l’éclairant mémoire de licence présenté en 1990 en Faculté des lettres par Anne Rochat-Morel. Mais c’est de l’histoire proche – tellement proche que j’hésite à m’y aventurer. Il met en tout cas très bien en évidence les efforts considérables que les responsables libristes ont consentis, voire les mesures de dernière heure qu’ils ont prises pour s’assurer que leur héritage ne serait pas simplement phagocyté par la partie nationale de la réconciliation.

Zitierweise:
Bernard Reymond: Jean-Pierre BASTIAN: La fracture religieuse vaudoise 1847-1960. L’Église libre, «la Môme» et le canton de Vaud, Genève: Labor et Fides, 2016. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 281-283.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 124, 2016, p. 281-283.

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